Aurélie Cardin, de CinéBanlieue : “Personne n’écoute les associations, alors qu’elles connaissent le terrain”

Des acteurs associatifs actifs dans les quartiers populaires signent une tribune réclamant d’être entendus par les pouvoirs publics. Parmi eux, Aurélie Cardin, dont le festival promeut depuis 2006 des talents issus des quartiers.

Par Caroline Besse

Cela fait maintenant dix-sept ans que la scénariste et réalisatrice Aurélie Cardin a créé le Festival CinéBanlieue, concours permettant de faire éclore les jeunes talents du cinéma issus de quartiers populaires. Elle fait partie, avec une trentaine d’autres associations, des signataires d’une lettre ouverte adressée à Élisabeth Borne : ils réclament d’être entendus dans les réflexions futures sur la politique de ces quartiers, dans le contexte des émeutes qui les ont secoués après la mort de Nahel M., tué par un policier à Nanterre le 27 juin. Mardi 4 juillet, la présidente du festival était à Gagny, en Seine-Saint-Denis, pour le lancement de Filme l’avenir : un dispositif estival qui offre, depuis quatre ans, l’accès à des ateliers d’improvisation et la réalisation d’un film de quatre-vingt-dix secondes, encadrée par des professionnels. Jointe par téléphone entre deux prises de vues, elle exprime sa colère face à l’ignorance et au mépris que le gouvernement témoigne aux associations des quartiers.

Pourquoi cette lettre ouverte à la Première ministre aujourd’hui ?
Toutes les associations qui la signent œuvrent sur le terrain depuis plus de trente ans dans le champ social, culturel, sportif. Elles sont d’ailleurs souvent menées par des femmes, et pas seulement des « grands frères », comme on l’entend trop souvent. On savait que les révoltes sociales de 2005 étaient seulement une étape, et non un point final à l’expression d’une colère larvée. C’est la misère qui crée la catastrophe, et les inégalités sont là, elles se creusent, c’est pire depuis 2005. Nous, toutes ces années, on n’a pas arrêté de dire qu’il fallait davantage de services publics dans ces quartiers, redonner la priorité au dialogue, remettre en place une police de proximité… En banlieue, tout le monde ne peut pas devenir entrepreneur ! Cette tribune a pour but de fédérer les acteurs qui connaissent le mieux le terrain pour travailler la stratégie de sortie de crise et les solutions sur le long terme.

Si on empêche la jeunesse de s’exprimer, cela conduit inévitablement à de la violence.
///////////////////////////////////////////

 

Vous dirigez le Festival CinéBanlieue depuis près de vingt ans. Quel impact a sur le terrain ce genre d’association ?
Lors des émeutes de 2005, l’association ExtraMuros [qui pilote le festival, créé deux ans plus tard] avait juste un an. Je travaillais à l’époque dans la cité des Bosquets de Montfermeil – quartier où la révolte a explosé avant de s’étendre –, on était au plus près des événements. Depuis, nous n’avons eu de cesse, à travers le festival, avec d’autres associations comme ExtraMuros ou Les Amis du Comedy Club, présidée par Jamel Debbouze, et notre plus récent dispositif Filme l’avenir, d’essayer d’aider les gens à prendre la parole avec l’écriture, avec une caméra. Si on empêche la jeunesse de s’exprimer, cela conduit inévitablement à de la violence. Le problème, c’est que toutes ces associations sont précarisées, et personne ne les écoute, alors qu’elles connaissent le terrain et ont des idées de solutions. Cette tribune a pour but de rendre visibles ces nombreux dispositifs, qui n’ont jamais été déployés à grande échelle et pourtant tous éprouvés, avec efficacité, sur le terrain. Notre moyen d’action, à CinéBanlieue, c’est la culture. Les 10 et 11 juillet, Filme l’avenir sera à Paris, au centre Curial, avec des sportifs de haut niveau, puisque le thème de cette année est les jeux Olympiques. Ce mode d’action à la fois culturel et citoyen a changé la vie d’énormément de gens, donné envie à des jeunes de s’initier à des pratiques artistiques. Je pense au jeune Fazi Aboudou, un garçon de Vitrolles, qui a écrit son film Petits Frères grâce au tutorat de Filme l’avenir. Il l’a présenté au Comedy Club, a trouvé un producteur et obtenu un préachat de France Télévisions…

 

Ce n’est pas le jour où ça brûle qu’il faut nous appeler pour venir en bas de l’immeuble éteindre le feu. C’est un travail de longue haleine, toute l’année.
////////////////////////////////////

 

Que demandez-vous concrètement à travers cette lettre ?
Simplement d’être vus et entendus. Comme Fatima Mostefaoui, responsable de l’association marseillaise Avec nous, également signataire, qui gère un atelier d’initiation numérique pour les habitants : c’est une asso très importante, qui fait des choses incroyables avec 3 francs 6 sous. Et qui est comme tant d’autres : invisible. Je ne suis pas amère, je me sens utile, mais je voudrais que nos structures et tout ce travail soient davatange soutenus, valorisés, mis en lumière. Au contraire, le dialogue est rompu avec les gens qui travaillent au long cours sur le terrain, en recourant aux outils de la démocratie. CinéBanlieue n’a même pas obtenu d’aide du CNC ! L’État nous traite comme des citoyens de seconde zone, dans des quartiers très fragilisés, où la relation de la police avec les jeunes est extrêmement dégradée. Quand on écrit qu’on n’est « ni des pompiers, ni des grands frères », c’est qu’on ne supporte plus qu’on demande aux mamans de tenir les enfants et d’appeler au calme. Ce n’est pas le jour où ça brûle qu’il faut nous appeler pour venir en bas de l’immeuble éteindre le feu. C’est un travail de longue haleine, toute l’année. Ce travail, nous le faisons : qu’on nous écoute !

Partager sur : Fb. Tw. Ln.