ANNIVERSAIRE : LE FESTIVAL CINÉBANLIEUE PORTE LES QUARTIERS À L’ÉCRAN DEPUIS VINGT ANS

Né à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) dans le sillage des révoltes de 2005, le festival perdure, malgré des coupes budgétaires, afin de permettre à la jeunesse de se raconter avec la caméra. Retour sur le tour de force de sa fondatrice, Aurélie Cardin.

Dans les salles vétustes de l’université Sorbonne Paris Nord, à Villetaneuse (Seine-Saint-Denis), Aurélie Cardin passait l’année 2003 à visionner des centaines de films consacrés à la banlieue – de Deux ou trois choses que je sais d’elle (1967) de Jean-Luc Godard à Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ? (2001) de Rabah Ameur-Zaïmeche.

Pour son mémoire de recherche, l’étudiante passionnée de cinéma décortique ces illustrations des marges et périphéries. Mais au terme de cette étude, la jeune femme, alors âgée de 27 ans, originaire de Saint-Denis, songe tristement que «personne ne va voir tous ces films répertoriés», encore moins les publics dont ils traitent.

Porteur de talents reconnus

Pour remédier à cela, lui vient l’idée de créer un festival, CinéBanlieue, mettant en lumière le cinéma venant des quartiers populaires. Né en 2006, l’événement fête aujourd’hui ses 20 ans, et accueille chaque année des milliers de spectateurs autour d’une programmation de longs métrages en avant-premières et de courts métrages.

En ont émergé des talents reconnus : parmi eux Maïmouna Doucouré, réalisatrice nommée aux César pour Mignonnes, en 2020, qui fut stagiaire au festival CinéBanlieue durant ses études, l’actrice Lyna Khoudri, révélée par Papicha, ou encore Sabrina Ouazani, César du meilleur espoir féminin en 2005, toutes deux lauréates du festival à leurs débuts… Sa prochaine édition se tient du 5 au 14 novembre.

En 2005, alors que le projet n’en est qu’à ses balbutiements, deux adolescents, Zyed et Bouna, trouvaient la mort après s’être réfugiés dans un poste électrique pour échapper à la police à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).

Vingt ans après

Des habitants de Clichy-sous-Bois racontent l’explosion de la révolte en 2005 : « Il y avait une telle rage en nous »

Aurélie Cardin commence tout juste à produire et réaliser ses premiers documentaires – Roméo cherche Juliette, Juliette cherche Roméo (2004), Sois le meilleur (2005) –, en parallèle de ses recherches universitaires au sein de la cité des Bosquets de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), foyer d’embrasement des soulèvements dans les banlieues françaises. «Les chaînes d’info en continu nous abreuvaient d’images» qui ne correspondaient pas à la réalité, se souvient-elle.

 

« De l’affichage en mode street »

Tandis que l’on ne «représentait que des casseurs, nous voulions montrer que les banlieues sont plutôt un bouillonnement créatif», tant les périphéries paupérisées que «la jeunesse délaissée en ruralité, les territoires ultramarins…» La jeune femme a alors conscience que le terme de banlieue agit comme «un repoussoir», mais elle veut continuer de l’accoler au festival, pour le revendiquer dans ce contexte politique plutôt hostile.

Les deux premières années du projet sont arides, la jeune femme se voit refuser toutes ses demandes de subvention. Qu’à cela ne tienne, elle s’obstine, fait projeter les films sélectionnés dans les cinémas de Seine-Saint-Denis, et remplit les salles avec un jeune public de plus en plus important. Pas les moyens de faire de grandes campagnes de publicité, alors «on a fait de l’affichage en mode street, on a couvert des murs dans l’espace public pour se faire connaître», sourit Aurélie Cardin.

La banlieue, un sujet en béton pour le cinéma

Ses efforts sont récompensés en 2007, car son projet est lauréat du prix Talent des cités, une initiative du ministère chargé de la Ville et de Bpifrance. A la clef, une dotation de la fondation RATP qui permet au festival de remplir les caisses. Les affiches de l’événement envahissent alors toutes les gares d’Ile-de-France. C’est le coup de pouce qu’il fallait, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique et l’Administration des droits des artistes et musiciens interprètes (Adami) contactent Aurélie Cardin pour des partenariats.

« Un vent frais dans le cinéma »

Le but affiché est de «renouveler leur vivier de talents, amener un vent frais dans le cinéma français», pointe la directrice. Son événement touche des publics auxquelles ces institutions n’ont pas facilement accès. Le festival devient alors un «relai» et des passerelles se créent, permettant aux jeunes réalisateurs lauréats d’obtenir une bourse du CNC et de l’Adami, d’être diffusés par France TV et d’être mis en relation avec des producteurs.

« Le festival est devenu un laboratoire de talent », souligne Aurélie Cardin. Cette passionnée de cinéma est incollable sur ce que les lauréats des éditions précédentes sont devenus, et continue de les accompagner professionnellement des années après.

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